Après le retrait d’Afghanistan : la souveraineté de l’Europe, sa défense et l’OTAN

Le retrait chaotique des forces occidentales d’Afghanistan renforce le besoin et l’urgence d’une solide défense européenne. Les images projetées à la télévision et sur les réseaux sociaux ont humilié les Occidentaux et porté le moral des terroristes islamistes au zénith, que ce soit en Asie centrale, au Moyen-Orient, au Sahel, au Nigeria ou au Mozambique.

En 20 ans, près de 100.000 soldats européens ont été engagés en Afghanistan pour y maintenir la paix au péril de leur vie et de leur santé. Ce pays a été le premier récipiendaire de l’aide européenne au développement. La population locale, des villes surtout, en a bénéficié : si en 1998, il n’y avait pas d’Afghane dans l’enseignement secondaire et supérieur, les filles représentaient 40 % des scolarisés en 2020-2021.

Malheureusement, les Occidentaux n’ont pas jaugé correctement le rapport des forces en présence, ni prévu l’échec de la construction d’un État afghan démocratique, ni pris conscience de la corruption du gouvernement, de l’administration, de l’armée et des forces de sécurité afghanes, ni mesuré la faiblesse des forces morales afghanes.

Les États-Unis ont évacué plus de 82.000 ressortissants et personnes ayant coopéré avec eux. Les Européens près de 25.000. Mais les Européens ont agi de façon peu coordonnée. Ni l’OTAN, ni l’UE ne sont intervenus en vue d’un effort commun. Les Français ont amené leurs réfugiés aux Émirats arabes unis, les Allemands en Ouzbékistan, les Polonais en Géorgie, les Belges, les Luxembourgeois, les Néerlandais et les Roumains au Pakistan, les Italiens au Koweït et les Espagnols à Dubaï.

Seuls 4.500 des 20.000 Afghans qui ont travaillé pour les forces allemandes sont en Allemagne. De 1.400 à 1.500 personnes qui ont coopéré avec le ministère de la Défense ou des organisations non gouvernementales des Pays-Bas et 442 Belges ou ayants droit se trouvaient encore en Afghanistan à la fin du mois de septembre. Des dizaines de milliers d’Afghans qui ont aidé les Européens restent menacés d’un sort cruel.

L’impréparation des Européens pour cette évacuation s’explique pour diverses raisons et notamment par la coopération lacunaire en matière de renseignements, l’inaptitude à la gestion de crise, sans compter la peur de voir arriver en Europe un afflux de réfugiés et de migrants afghans semblable à celui des Syriens en 2015.

Pour tirer toutes les leçons de cette longue et infructueuse guerre afghane, il faudrait étudier les ouvrages de Clausewitz, de Gallieni, de Lyautey et, plus près de nous, de Robert Thomson et de David Galula. Ils montrent bien comment surmonter la vulnérabilité des armées régulières, dépendantes de leur logistique, face à des guérilleros plus mobiles, organisés, motivés et sachant mieux communiquer avec la population. Ils donnent un cadre de référence permettant de juger l’action des Occidentaux plus objectivement.

Une conclusion, toutefois, s’impose d’emblée : les Européens ne peuvent plus se reposer intégralement sur les États-Unis d’Amérique en matière de défense. La géopolitique indique qu’il nous faut établir une défense européenne, capable d’intervenir rapidement et de façon autonome en cas de crise, là où nous en avons besoin.

Le projet de Communauté européenne de défense (CED) présenté à l’Assemblée nationale française le 24 novembre 1950 par le ministre de la Défense René Pleven a été heureusement torpillé en 1954 par cette même Assemblée : il aurait mené à une armée européenne sous commandement américain. Le projet de Communauté politique européenne ou de « traité constitutionnel » qui y était joint a subi le même sort. Les projets de « traités constitutionnels » présentés en 1984 par Altiero Spinelli et en 1994 par Fernand Herman n’ont pas été plus loin que le Parlement européen. L’échec en 2005 du quatrième projet de « traité constitutionnel » a mis fin aux avancées de la défense européenne initiées en 1986 par l’activation de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) et amplifiées par l’intégration de l’UEO dans l’UE, en 1999.

Si l’Europe ne s’unit pas, à chaque crise, économique, politique, sanitaire, migratoire, etc., les opinions publiques se refermeront un peu plus sur elles-mêmes, alors que le protectionnisme ne fait qu’aggraver les problèmes économiques, raviver le nationalisme et augmenter le risque de guerre entre Européens. Celui-ci est déjà présent dans les Balkans occidentaux et en Irlande.

C’est pourquoi les Européens veulent très majoritairement, selon les Eurobaromètres,1 une armée européenne, qui ne peut être que celle des États-Unis d’Europe (EUE). Pour répondre à ce souhait, afin que les nouvelles générations d’Européens bénéficient elles aussi de la paix, ou plutôt de l’absence de guerre, qui prévaut depuis 1945, mobilisons, avant les élections au Parlement européen de 2024, ceux qui veulent une armée européenne et l’Europe fédérale, la condition nécessaire d’une gouvernance démocratique, légitime et transparente. Rassemblons ceux qui travaillent à la recherche de la vérité, ainsi qu’au progrès et à l’émancipation de l’humanité. Mettons en évidence nos intérêts communs et les valeurs européennes. Parlons aux esprits et aux cœurs. Suscitons l’enthousiasme.

Le premier pas consisterait à désigner une Assemblée, chargée de rédiger et d’adopter, puis de soumettre aux États membres pour ratification, une constitution fédérale. Celle-ci fixerait les droits fondamentaux des citoyens, les principes sur lesquels repose la légitimité du pouvoir politique et l’architecture générale des institutions. Le deuxième pas serait d’élire au suffrage universel direct le chef de l’État – commandant en chef des forces armées, pour le rendre légitime, représentatif des EUE et apte à garantir notre souveraineté, notre indépendance et notre autonomie. Le troisième serait de mettre en place le Parlement, le Sénat et le gouvernement des EUE. Le quatrième serait de constituer les forces armées fédérales et d’augmenter l’efficience des dépenses de défense des États membres, en réalisant des économies d’échelle, en supprimant des redondances et en faisant adopter par les forces armées des États membres les règles d’engagement opérationnel des EUE et les choix faits par ceux-ci en matière d’acquisition d’équipements majeurs. Les États membres des EUE pourraient en effet garder des capacités militaires, à l’exemple des National Guards aux USA, et des relations internationales, comme les provinces canadiennes.

Des dépenses de défense efficientes permettraient d’affecter jusqu’à 50 milliards € par an au rééquipement des unités et services, sans doubler les budgets de défense, comme le demandent les USA et l’OTAN. Les lacunes dans les capacités européennes pourraient être comblées. Notre sécurité et notre défense seraient assurées. Le marché des biens et services de défense s’unifierait. Grâce à une politique industrielle de défense innovante, la base industrielle et technologique de défense se rationaliserait et deviendrait plus compétitive, plus apte à accélérer le changement technologique, par son apport spécifique et par le développement des outils de pilotage de la recherche, qui permettent de préserver les compétences jugées stratégiques et d’entretenir les réseaux de chercheurs.

En se dotant de forces armées opérationnelles, les EUE seraient crédibles sur la scène internationale, ce qui conforterait notre puissance économique, notre activité commerciale et le rayonnement de notre civilisation. Les EUE seraient garants d’une Europe démocratique et souveraine, qui soit une communauté de destin et de valeurs, un espace de paix et de solidarité, protecteur des droits humains, de l’État de droit, des libertés fondamentales et du bien-être.

Jean MARSIA
président de la Société européenne de défense (S€D)
www.seurod.eu

1 Les sondages Eurobaromètre sont organisés deux fois par an par la Commission européenne depuis 1973. Voir http://ec.europa.eu/COMMFrontOffice/PublicOpinion/index.cfm/General/index.

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